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immobiles. On eût dit que les feuilles des bouleaux, au-dessus, eussent été peintes. Et cependant ce tas de feuilles sèches bougeait ; un mouvement léger, mais perceptible, de respiration l’animait… Il était vivant… Et d’être vivante ainsi, cette boule de feuilles sèches me donnait je ne sais quelle terreur… J’écarquillai les yeux pour la mieux voir, pour faire entrer mon regard sous la superposition de ces feuilles qui cachaient évidemment un mystère, un de ces mille crimes de la forêt meurtrière, mais quel ?

Les animaux les plus obtus, les plus humbles insectes et les larves les plus dérisoires ont le flair merveilleux de ce qui les menace. Ils dépistent l’ennemi le mieux caché, avec une intelligence qui ne les trompe jamais, si elle ne les sauve pas toujours. L’ennemi qui était là, tapi dans les feuilles, ne devait pas menacer la vipère, sans quoi celle-ci ne se fût pas montrée si confiante, si indolente, dans un étirement d’une grâce si voluptueusement sinueuse, parmi les fleurs et les molles mousses. Je m’étais sans doute trompé ; c’était mon imagination seule qui me faisait découvrir, maintenant, sous les innocentes feuilles, un museau vorace et deux yeux ardents. Je résolus d’attendre, derrière mon arbre, sans un geste, sans un mouvement, afin de ne pas effaroucher la vipère. Robert dormait toujours…

Et, tout à coup, tandis que la vipère, d’un rampement