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Ayant longtemps marché, je me reposais au bord d’une clairière, le dos appuyé contre le tronc d’un hêtre. Tout près de moi, des ornithogales ouvraient au soleil leurs ombelles de fleurs blanches. Tout autour, des millepertuis décoraient l’ombre de leurs vives étoiles d’or… Et je ne pensais à rien, sinon à jouir du répit de douceur et de lumière que m’offrait cette nature. Roger Hagueman, lui, s’était endormi sur un lit de mousses. Ah ! celui qui m’eût dit que j’étais sur le point de faire une découverte biologique importante, m’eût fort étonné !

Mon attention fut, tout à coup, requise par quelque chose de brillant qui se glissait entre les herbes et soulevait, comme d’un vif éclair argenté, le feuillage bas des millepertuis. Je reconnus une vipère, et je mentirais si je n’ajoutais pas : de l’espèce la plus dangereuse. Elle ne me voyait point, et s’ébattait librement, paresseusement, parmi les fleurs. Tantôt elle disparaissait, tantôt elle reparaissait, ici, droite comme une petite lame de poignard, là, ovale comme un bracelet, ou bien encore, ondulant comme un ruisselet d’eau claire, entre de la mousse. Mais quelque chose m’intrigua plus encore. Non loin de la vipère insoucieuse, j’aperçus un petit tas de feuilles sèches. Au premier abord, il n’offrait rien de particulier ; à l’examiner mieux, il me sembla suspect. Il n’y avait pas la moindre brise, pas le moindre courant d’air sous le taillis : les petites graminées restaient