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pièce que je n’ai pas vue ! De ne pas voir une pièce, c’est étonnant comme cela vous met, tout de suite, à l’aise pour la juger !… Le nom de l’auteur qui l’a faite, et du théâtre qui la joue, voilà qui me suffit, et amplement… Je n’ai pas besoin d’autres indications, moi !… Il faut savoir prendre les choses de haut… éliminer les petits détails inutiles… s’habituer aux grandes synthèses… Il faut planer enfin !… moi, je plane !… (Il étend ses bras et les fait aller lentement, comme des ailes)… Je plane même très bien… (Il se renverse dans son fauteuil et songe… Silence de quelques minutes)… C’est évident !… quand on voit une pièce, il arrive, parfois, qu’un mot, qu’une scène, qu’un acte, que la pièce tout entière vous charme… malgré vous. On ne sait pourquoi ! alors, on se laisse entraîner… on n’est plus impartial… on n’est plus juste… et le lendemain, par faiblesse… les critiques sont si faibles !… le lendemain on est capable de dire du bien des bonnes pièces, et du mal des mauvaises… La conscience s’abolit !… voilà le danger !… Et puis, moi, cela me trouble extrêmement de connaître les pièces dont je dois rendre compte… mes idées s’embrouillent… je me perds dans tant de personnages, tant de scènes, tant de décors… Comme Sarcey, je confonds tout… l’ingé-