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le journaliste a pris dans la société une place d’irrégulier. Il s’en console en aigrissant, chaque jour, ses amertumes, en aiguisant ses rancunes, en se disant que, puisqu’il n’a pas toujours les respects qu’on accorde aux réguliers de la vie, il n’est pas tenu non plus d’en pratiquer les vertus et les devoirs bourgeois. Et, malgré les querelles intestines qui, parfois, lui mettent l’insulte à la plume et l’épée à la main, il s’enfonce davantage dans cette franc-maçonnerie de l’admiration mutuelle, dans cette camaraderie avec laquelle il se donne le mirage du succès, de la popularité et de la considération.

J’ai déjà dit deux mots de la camaraderie, cette forme hypocrite de l’indifférence, ce masque tartufe du scepticisme. C’est elle qui fait que tous, depuis la première jusqu’à la dernière ligne d’un journal, nous bâtissons une œuvre vaine et souvent criminelle, car la réclame passe aussi vite que les réputations qu’elle élève, et elle étouffe la conscience. Singulier temps où il semble que le premier mérite d’un écrivain soit d’avoir, non du talent, mais de la probité littéraire, et qu’il faille davantage s’étonner de ce que, parfois, l’on rencontre, sur son chemin, un homme de bonne foi plutôt qu’un homme de génie. Avec la camaraderie, tout monte au même niveau de louanges bénissantes et de flatteries mielleuses : les hommes et les œuvres. Il n’y a plus de séparation entre ce qui est génial et ce qui est médiocre. Victor