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peintres, de la vie bouillonnante dans leurs tubes refroidis, de l’air, du ciel, du soleil, sur leurs palettes boueuses. Et c’est pour cela qu’on l’outrageait ?

Aujourd’hui, Manet est mort, dans la foi de son art, glorifié par ceux-là mêmes qui l’avaient jadis méprisé. La haine se tait aussi pour Zola, en attendant la glorification définitive ; du moins, peureusement, elle aboie de loin, s’abritant derrière des remparts d’éloges et, désespérant d’atteindre l’écrivain dans son talent, elle cherche parfois à frapper l’homme dans sa dignité. En vain, M. Zola nous a donné, dans ce temps si indulgent aux compromissions quelconques, l’exemple presque farouche d’une dignité rare, qu’il faut savoir admirer plus encore, peut-être, qu’on admire son talent ; car le talent de l’artiste s’embellit encore de la dignité de l’homme.

Savoir admirer, c’est l’excuse des humbles comme nous, qui peinons, dans les journaux, à d’obscures et inutiles besognes, et c’est ce qui nous distingue des misérables gamins destructeurs inconscients du beau, à qui toute grandeur, toute éloquence, toute vérité échappent. Réunion de blagueurs, multitude grimaçante de cabots qui n’aiment que l’exagération du mot, le grincement bête du rire, le drapement théâtral des douleurs ; qui voient toutes choses à travers des cinquièmes actes de mélodrame ou de vaudeville, et qui forcent la nature et la vie à se plier à toutes les déformations de l’esprit… esprit de concierge et de chroniqueur.