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lointaines, tout entières couvertes de la poussière du passé, les hommes, les villes, les bêtes, les bois, tout surgit, tout s’anime, tout ressuscite avec un fracas de vie extraordinaire. Peut-être encore plus que dans ses vers, ce trait caractéristique est marqué dans sa prose, où le lyrisme de la description découle de la propre intensité de son intuition impitoyable et mystérieuse. Il est tellement ouvert aux impressions qui effleurent à peine le commun des esprits doués et vibrants qu’il trouve cette expression admirable et étrange : « l’oreille voit » . Toutes ses facultés, en effet, ont l’air d’yeux braqués sur tous les points à la fois. Il n’est d’horizons si lointains qu’ils n’atteignent, de murailles si épaisses qu’ils ne percent, de tombes si profondes dont ils ne soulèvent le couvercle, de fronts si obscurs qu’ils n’illuminent. C’est l’Œil effrayant qui regardait Caïn. Il est dans le passé, il est dans l’avenir qu’il éclaire de lueurs prophétiques. Il évoque ce qui doit naître, comme il ranime ce qui est mort, avec une magnificence et une toute-puissance de Dieu. Cette force atteint un tel degré, en ce prodigieux génie, qu’elle sera, je crois, un fait unique dans l’histoire littéraire, politique et humaine. Le grand poète a été la Bonté. Il a aimé l’humanité, comme le Christ l’aima, d’un amour infini. Élargissant les bornes ensanglantées des patries, prêchant la communion des peuples, l’oubli des races, la fin des conquêtes, il