Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/75

Cette page n’a pas encore été corrigée

enchevêtrement des feuillages de pierre.

Dès lors, Victor Hugo a tout conquis. Il a été le fleuve impétueux qui emporte toutes choses fracassées, au courant de ses eaux colères, qui se creuse des lits nouveaux à travers des terres nouvelles ; puis il est redevenu la source, la source inépuisable et sereine, en laquelle le ciel se reflète et où chacun vient remplir ses urnes et s’abreuver. De sa pensée ont jailli des rayons, dont les plus éclatants sont Théophile Gautier, Baudelaire, Leconte de Lisle. Et partout est passé un peu de l’esthétique, de la vision et de l’imagination du maître. Sa présence invisible se fait partout sentir. Les âmes se façonnent sur la sienne, on voit avec ses yeux, on aime avec son cœur, on hait avec sa haine. C’est l’âme inspirée du siècle, c’est la pensée de l’humanité.

Je ne puis suivre Victor Hugo dans son œuvre et dans sa vie. D’ailleurs, sa vie est connue, et ses œuvres, qui ne les sait par cœur ? On peut dire que sa vie se résume en ce mot : Amour, ses œuvres en cet autre mot : Vision.

Le grand poète a été un visionnaire sublime. Son regard semble fasciner les choses sur lesquelles il se pose. Tout objet fixé par lui prend un relief énorme. Même à distance, quand il décrit des pays où il n’est jamais allé ; même historiquement, quand il peint les époques