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origine. Même en ces derniers temps, il ne pardonnait pas au plus grand historien moderne, au premier évocateur des figures et des mœurs disparues, à Michelet, dont il disait: « Vous êtes l’Himalaya », d’avoir osé toucher à l’Homme.

La révolution que Napoléon fit dans l’âme humaine par la politique et la guerre, Victor Hugo la continua et la compléta par la littérature. Tous deux procèdent du même mouvement qui entraîna hommes et choses, sentiments et systèmes, à la fin du dix-huitième siècle. Ils sont les marcheurs de la même impulsion, de la même poussée.

J’ai mis le bonnet rouge au vieux dictionnaire, s’écrie le poète dans les Contemplations.

D’un côté, le Code civil qui affranchit l’homme, de l’autre la préface de Cromwell, qui affranchit la pensée de l’homme.

Cette préface, l’évangile révolutionnaire du romantisme, renverse un par un, et les règles falotes, et les bornes aveugles, et les préjugés rampants. Sans effort, net, comme en posant sur elles son doigt d’Hercule, Victor Hugo réduit ces froides divinités en poussière. Les trois unités de la tragédie classique s’évanouissent, le drame shakespearien, ardent, sublime, renaît. Et l’on voit s’effondrer les palais romains, les colonnades grecques, s’enfuir les fantômes surannés, comiquement empêtrés dans les plis des tuniques et des péplums. C’est la vie qui entre avec l’air et la lumière. La langue, qui se