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acception du mot, et non pas un gendelettre, lequel sent toujours le boulevard, le café et le journal. Qu’ambitionne-t-il ? L’Académie peut-être, où il ferait très bonne figure et où il entrera très certainement. Mais j’imagine qu’il ambitionne surtout, en ce moment, les jouissances délicates et sereines que l’art procure à ceux qui le servent.

M. de Vogüé publie chez l’éditeur Calmann-Lévy, Les Nuits d’hiver, des études russes du plus haut intérêt, et qui avaient déjà paru à la Revue des deux mondes, où elles avaient obtenu un succès très vif. M. de Vogüé a été, je crois, secrétaire d’ambassade à Pétersbourg ; il a fait du peuple russe une étude spéciale, parfois profonde, et d’autant plus neuve que beaucoup d’écrivains français nous ont donné, jusqu’ici, M. Tissot par exemple, les idées les plus fausses de ce peuple, en des livres mal écrits — aussi mal écrits qu’ils étaient mal informés.

Les Nuits d’hiver sont une série de nouvelles, à la manière de Tourgueneff, très pittoresques, très dramatiques, et toutes pleines d’observations sincères, curieuses, de vues modernes, avec un tour hardi de pensée. On sent que M. de Vogüé a la très rare et très excellente habitude de penser par lui-même et de n’être jamais embarrassé par les préjugés étroits et conventionnels de son monde. Sous la forme dramatique de ses récits, on sent aussi un esprit politique d’une grande netteté et d’une sagacité pénétrante, qui ne va point sans une mélancolie