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goûts nouveaux, en ébranlant chaque jour son génie d’antique politesse, en ajoutant aux vices aimables d’une civilisation déjà attaquée aux moelles les décompositions des civilisations orientales, décadentes et pourries.

Ce qui restait d’idéal et de grandeur épars, dans ces écroulements commencés, a disparu ; ce que l’on pouvait attendre d’espérances et de redressements héroïques, aux jours difficiles, tout cela s’est enfoui. L’invasion est complète, non seulement dans les salons, mais aussi dans les cœurs. Nous n’avons même plus de jeunes gens ; ce sont les leurs qui se sont installés à leur place, partout, jusque dans les lieux de plaisir, où l’on ne rit plus d’ailleurs, car cette jeunesse est triste, mal élevée. Jetés, presque enfants, à la Bourse, n’ayant appris qu’à gagner de l’argent, ils ne se sont jamais arrêtés aux belles études généreuses, ni aux sublimes rêves de l’art. À dix-sept ans, leur cerveau n’a jamais travaillé qu’à des combinaisons de chiffres, et leur âme ne s’est éveillée qu’à la douceur des gains rapides ou à l’angoisse des pertes vertigineuses. La gaîté n’habite point ces cœurs hantés d’inquiétudes, oppressés par les terreurs des liquidations et ne battant qu’au tintement de l’or et au froissement des billets de banque. Jeunesse morte aux belles choses de la vie, qui a communiqué une partie de sa mort à notre jeunesse, prise aussi des folies énervantes du million et qui se tourne vers la Bourse, comme vers le seul