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— C’est pas de l’argent que je demande, répondit le brigadier, c’est la croix que je voudrais.

— La croix ?

— Oui, la croix. Et je l’ai bien gagnée. J’ai toujours été bon soldat ; j’ai, à moi seul, autant de blessures que peut en avoir un régiment qui a été au feu… et puis, je pense que je me suis bien défendu, contre plus de cent Arabes, là-bas. Ce n’était pas pour moi, après tout, que j’ai fait ça, c’est pour vous. Je voudrais la croix. Vous la donnez à des gens qui ne la méritent pas comme moi… Donnez-moi la croix…

Le gouverneur sourit et, congédiant le garde :

— C’est bien, mon brave, dit-il, vous aurez la croix.

Le blessé partit.

Depuis de ce temps, il erre le long des routes, un bissac sur le dos. Il vit de ce qu’il trouve, des charités qu’il rencontre, des aumônes et du hasard. Quand on l’interroge, le pauvre vieux sourit ; puis il répond, d’un air obstiné, en montrant la boutonnière de sa veste de mendiant :

— J’aurai la croix, je l’aurai.

C’est Maginard qui l’a eue.