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d’apercevoir l’ancien brigadier, son revolver à la ceinture, le fusil sur l’épaule, l’œil au guet. Bien des fois, ils avaient tenté de se débarrasser de cette surveillance gênante ; mais le garde, se souvenant des prouesses d’autrefois, avait su, par quelques exécutions terribles, répandre l’épouvante parmi eux. Souvent, la nuit, on avait entendu des coups de fusil, et, le lendemain, on avait vu des cadavres de voleurs étendus sur les champs, tandis que le vieux garde rentrait au petit jour, en caressant sa barbe et fumant sa pipe.

Une nuit, le garde se disposait à faire sa ronde coutumière, quand on ouvrant sa porte, il aperçut un grouillement de foule et, au-dessus, des canons de fusil qui reluisaient. Aussitôt un coup de fusil partit et le garde, tournant sur lui-même, s’abattit sur le pas de sa porte. Il se releva vite, barricada la porte, prit ses fusils, ses pistolets et ses cartouches, et, par une sorte d’ouverture taillée dans le mur de la maison, il se mit en devoir de résister et de se défendre. Chaque coup de fusil abattait un Arabe ; lui-même reçut six blessures. Il était couvert de sang ; ses forces l’abandonnaient ; mais il ne voulait point se rendre, et il attendait la mort, en se défendant comme un bête traquée.

Désespérant de le réduire, et, comme le jour venait, les bandits, craignant que les colons n’envoyassent des secours, mirent le feu à la masure. Alors le garde, usant des pauvres ressources