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que j’en lisais m’affligeait profondément. À distance, et dans les milieux calmes que ne viennent jamais troubler les fièvres et les bruits de la grande ville, on juge mieux, les impressions ressenties sont naïves, plus justes et plus fortes, car on a le temps de réfléchir et de comprendre, et j’étais véritablement effrayé de voir à quelle œuvre malfaisante surtout j’avais tant de fois travaillé, et travaille chaque jour, le journalisme.

Politique dédaignée et méprisée, littérature rapetissée aux mesures marchandes du comptoir, art rabaissé jusque dans le plus bas métier, aspirations généreuses étouffées, incroyances étalées, réclames triomphantes payées en argent ou en poignées de main, primant la vérité et faisant taire la franchise, lâchetés agenouillant les consciences devant les sacs d’écus. C’était donc cela, le journalisme, cela que, sans révolte, le public dévore tous les matins, cela avec quoi il pense et de quoi son intelligence vit, cela qui lui fait ses opinions, ses admirations, ses dégoûts.

Pourtant, voilà de longues années qu’on lui sert, au public, ce même repas d’indigestes fadeurs et de mensonges empoisonnés. Ne va-t-il point s’apercevoir qu’on le dupe, qu’on le vole et qu’on l’avilit ? Quand donc demandera-t-il au journalisme une sincérité, c’est-à-dire ce