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du danger, le brigadier passait pour le plus intrépide soldat de notre armée d’Afrique. Dix fois on l’avait ramassé comme mort, sur les champs de bataille. La légende s’était emparée de ce brave, et en avait fait un héros d’épopée. La vérité est qu’en plusieurs circonstances, le brigadier, par son courage et par sa folie de l’en avant qui le faisait ruer sur l’ennemi, comme un boulet, sauva des corps expéditionnaires qui, sans lui, fussent restés dans le désert ou au fond des gorges des montagnes. N’ayant point de famille en France, et ne voulant point quitter l’Algérie, le brigadier demanda qu’on lui donnât un petit poste quelconque dont il pourrait vivre, car on n’amasse pas beaucoup d’argent à se faire tuer pour son pays, et aucun n’avait été plus prodigue de son sang que lui. Après beaucoup de difficultés, on le nomma garde forestier, et on lui confia un poste assez éloigné, dangereux, hanté par des pillards qui souvent venaient faire des rafles de bestiaux et inquiéter les colons. Le brigadier fut très heureux, car c’était toujours la guerre pour lui, et la vie tranquille, le repos, n’étaient point son fait. Il s’arma de deux fusils, de deux revolvers et d’une provision de cartouches, et s’en vint habiter, tout seul, la masure qu’on lui destinait.

Il passait son temps à surveiller les champs et la forêt. La nuit, s’embusquait dans les endroits particulièrement fréquentés des Arabes, faisait des rondes. Les pillards étaient toujours sûrs