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coins écartés, loin de l’œil du pion, demander à l’auteur de Tous les baisers de solitaires joies.

De pareils livres — me pardonne mon ami Émile Bergerat — ont une influence pernicieuse. S’ils ne nous dépravent pas, nous autres, qui ne nous laissons pas prendre à ces airs de vieille entremetteuse, ils en dépravent d’autres, et, croyez-moi, le nombre en est grand. Je trouve qu’on a raison de les poursuivre et d’en condamner les auteurs. Cela n’a rien de commun avec la littérature et ne relève pas de la critique ; cela rentre dans la prostitution et relève de la police des mœurs. Du moment qu’on n’a encore autorisé personne à montrer son derrière en public et à forniquer sur les bancs des promenades ; du moment qu’on cueille, dans les pissotières, les jolis messieurs qui se livrent à des ébats que la nature réprouve, je ne vois pas, au nom de quel principe, on permettrait à ces livres de s’étaler sur les trottoirs et de raccrocher les passants aux devantures des libraires.

La littérature ne tient point tout entière dans ces livres, de même que les arrière-boutiques des parfumeuses ne résument point tout le commerce. S’il vous répugne, au nom d’une liberté mal entendue et d’une sorte de solidarité mal comprise, de traîner ces livres en justice, au moins mettez-leur sur la couverture un marque d’infamie qui les fasse reconnaître. Inscrivez ces étranges littérateurs sur des registres spéciaux, ainsi que cela se pratique pour certaines créatures ; faites des écrivains sou-