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ni une page de style, ni une observation curieuse, ni de l’esprit, ni de l’émotion, ni le plus léger grain d’art, ni rien de ce qui constitue de la littérature, un roman-néant, un livre qui, par sa fadeur, eût découragé Berquin lui-même, un livre enfin tel que la librairie Mame en imprime cent mille par an, pour la distribution des prix des frères de l’école chrétienne et des salles d’asile, et dont les auteurs n’entrent pas pour cela sous l’illustre coupole.

M. Albert Delpit, que j’ai déjà nommé, exprima un jour l’opinion qu’il y avait des gens académiques et d’autres qui ne l’étaient pas. On reconnaissait les académiques à un je ne quoi, comme dit Bossuet. M. Delpit voulait expliquer sans doute qu’on devient littérateur, quand on a du talent, et qu’on naît académicien quand on en manque. Il établissait ainsi la distance qu’il y a souvent entre un artiste et un immortel. Il voulut bien citer, parmi les académiciens de naissance, M. Ludovic Halévy et, par modestie évidemment, M. Delpit lui-même. Cet écrivain ne se trompait pas. Ses prédictions se sont réalisées pour M. Ludovic Halévy ; encore un roman comme la Marquise, une pièce comme les Maucroix, et les palmes iront d’elles-mêmes se broder sur les vestes de M. Delpit.

Cela ne serait rien, en vérité, si l’Académie n’avait pas, malgré les railleries, conservé un grand prestige, aux yeux de la foule bourgeoise. Il est bien certain que cette distinction, le plus souvent mal répartie, classe un homme et