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rare vertu de l’homme de lettres. Ils ont jeté leurs œuvres à la bataille, armés de leur seul génie et de leur seule fierté. Et, si parfois elles ont reçu des blessures, ce sont des blessures glorieuses qui les couvrent d’immortalité. Ils sont grands par leurs œuvres, parce qu’elles sont fortes et superbes, ils seront plus grands encore parce qu’ils les auront respectées et fait respecter.

Ne croyez-vous pas que, s’ils eussent, comme les autres, pactisé avec leur dignité, fait des courbettes ingénieuses aux marchands de renommées éphémères, adressé des sourires menteurs aux trafiquants de cervelle humaine, ne croyez-vous pas qu’ils seraient célèbres au lieu d’être restés presque obscurs, riches au lieu d’être restés presque pauvres ? Mais la réclame passe aussi vite que les réputations qu’elle élève, et bien vite l’herbe et la mousse envahissent les monuments qu’elle a bâtis, tombes délaissées. Qui donc parlera des Dumas et des Daudet ? Qui donc connaîtra même leurs noms ? Alors que Leconte de Lisle et Barbey d’Aurevilly retrouveront, à mesure que les siècles vieilliront et disparaîtront, plus de gloire, plus de jeunesse et plus de vie.

Octave Mirbeau, Le Gaulois, 8 décembre 1884