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compte pas, le génie reste à terre, impuissant, rampant tristement sur les moignons de ses ailes coupées, s’il n’est promené à travers les rues par les pitres, affublé de costumes grotesques, comme un queue-rouge. Voilà donc où nous a conduits le journalisme, avec sa camaraderie et ses guichets ouverts à tout, guichets et camaraderie qui font des gens de lettres et des artistes de misérables camelots et transforment la littérature en boutique foraine, sur le devant de laquelle les Bobèches grimacent des soufflets et des coups de pied au derrière, pour mieux attirer la foule.

Mais tout sert ici-bas à quelque chose de consolant ; tout marche impitoyablement vers un but moral et défini. Les hommes ont beau être lâches et les choses laides : par-delà les cris, les blasphèmes, au-dessus des bouches tordues, à travers les poings convulsés, monte radieusement ce triomphe de l’éternelle Beauté. La réclame éhontée des mauvais livres nous rend plus précieuse encore la beauté des beaux livres. Sans doute, elle dévoile violemment les malpropretés d’un monde factice, créé par le petit journalisme contemporain qui va des bureaux de rédaction au tapis vert des tripots, et qui parvient souvent à s’imposer grâce aux acoquinements des uns, aux complicités payées des autres, aux camaraderies immorales et lâches de tous. Mais est-ce un mal que des gens qui ont volé le respect et la considération du