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sur le corps et la révolte dans l’âme, s’enfonçant dans le désert, le désert mystérieux d’où nul n’est revenu, et où on nous le représentait déjà, aimé des panthères, domptant des lions et soulevant des peuplades errantes.

— Quelle superbe féerie, s’écria un jeune auteur dramatique, en avalant sa troisième absinthe. Je le vois. Il n’y a plus qu’à l’écrire… Et quels décors… Le prologue se passe… au Havre, à Sainte-Adresse… Violent, haletant, passionné… Ah ! les belles scènes, les rugissements terribles… et les coups de couteau, et du sang… Puis la mer, la mer furieuse, qui brise et gronde ; à l’arrière d’une barque fuyant à pleines voiles, Richepin, debout, dans la tempête, le poing tendu contre le ciel, tandis que, sur la jetée, une femme en noir s’évanouit dans les bras de Mme Guérard qui lui tape dans les mains et dit : « Nous le retrouverons, madame » . Maintenant, c’est le désert, tout rouge… Des touffes d’alfa, un palmier, un chameau, une autruche… La femme en noir, accompagnée de Mme Guérard et de M. Fernand Xau, un reporter que nous ferons très spirituel, comme il convient, entre, exténuée de fatigue. Elle s’assied sur le sable brûlant et se lamente. M. Fernand Xau, en préparant le repas du soir, se plaint vivement qu’il n’y ait ni cafés, ni bureaux télégraphiques dans le désert et se répand en plaisanteries gaies contre la routine de ces pays incomplètement civilisés. Tout à coup on entend un rugissement ; deux prunelles