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encore dormir à l’aise, à son ombre rouge.

Les Mal-Vus, ou du moins, ceux que l’auteur dénomme ainsi, ce sont les hors-la-loi, les hors la vie, qui subsistent de métiers défendus, toujours en lutte par la ruse ou par la violence, contre une société qui les a repoussés, et qui se taillent dans la débauche, dans le crime, la part d’existence à laquelle toute créature humaine a droit, même quand on la lui refuse. Mal vus en effet ces êtres déchus, déchets des concurrences féroces, épaves des tourmentes sociales, victimes des irrémissibles atavismes, entraînés de partout et tournoyant aux remous de la vie sans espoir, mal vus, certes, car nous ne connaissons d’eux que leur apparence sinistre, et le décor pittoresque où ils évoluent. Bien peu, même parmi ceux-là qui eurent la prétention de les étudier, osèrent descendre dans ces âmes de ténèbres. M. Édouard Conte a osé, lui ; et il a osé nous montrer la petite lueur d’humanité qui brille si tristement, parmi tant de regards effrayants, aux yeux de ces réprouvés.

De ces âpres peintures, il se dégage une odeur forte de pourriture et de sang. Il s’en dégage aussi de la pitié, non pas de la pitié sentimentale et bêlante qu’on débite en couplets de romance, mais de la pitié mâle, de la pitié d’homme qui n’a pas craint de poser ses pieds et ses mains dans cette fange et dans cette sanie, et, de l’acte individuel, si horrible qu’il soit, si conscient qu’il paraisse, a eu cette har-