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La valeur du dessin, la puissance de la couleur, s’accompagnent ici de la qualité de la pensée. Le regard perce les apparences et pénètre l’âme. Il y a des coups de sonde qui font frissonner.

Nos admirables législateurs qui s’imaginent qu’il suffit, pour les guérir, de jeter sur les plaies humaines l’hypocrite manteau d’une loi, nos merveilleux moralistes qui ne parlent que de prison et de guillotine, et croient ramener la vertu sur la terre en préférant trancher les têtes que les questions, feraient bien de lire ce livre. Et M. le sénateur Bérenger ferait bien aussi de le lire, qui dans son projet de loi sur la prostitution n’a pas songé que la prostitution est à peu près le seul métier dont puissent vivre les femmes misérables, et qu’en leur retirant ce douloureux gagne-pain, il eût été peut-être charitable de leur en indiquer un autre. Mais lire un tel livre, qui dévoile tant de hontes, qui appelle la réflexion sur tant de problèmes, ce serait trop demander à des moralistes et à des législateurs, qui se contentent des quelques vagues préceptes en circulation dans les cafés et les salons. Bien nourris, bien chauffés, bien rentés, ils préfèrent, dans la paix d’un logis souriant et calme, moraliser et légiférer sur des choses qu’ils ignorent et dont ils ne comprendraient, jamais, l’inexprimable mélancolie. Et puis, si le danger vient et menace l’harmonie d’une existence à l’abri de tout heurt, de toute secousse, la guillotine est là, qui fait taire les voix qui grondent trop fort. On peut