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arrêté par erreur ou par simple dilettantisme, on l’accuse d’être un espion. C’est vague, c’est souverain sur l’esprit des foules et cela contente tout le monde.

On a essayé de ce moyen classique contre Fénéon. Il n’a pas réussi, pas plus que les autres. Si, comme l’insinuaient les notes policières, Fénéon avait, depuis 1884, vendu nos secrets militaires aux Allemands, il est probable qu’il serait un peu plus riche qu’il ne l’est. Mais ce genre de plaisanterie a un mérite incontestable : il permet de garder plus longtemps, en prison, un prisonnier dont on ne sait que faire et qu’on n’ose plus relâcher, par crainte des moqueries de ceux-ci, des indignations de ceux-là. La police a de la pudeur et elle craint le ridicule. À cause de la nature essentiellement vague de ces sortes d’accusations, à cause des difficultés et des lenteurs qu’entraînent, en général, de pareilles instructions judiciaires, elle est toujours bien venue à dire : « Nous sommes sur une piste… nous tenons la vraie piste… », jusqu’au jour où, après avoir tout essayé, tout tenté, tout retourné, elle est bien obligée d’ouvrir, à la victime, les portes de la prison… Oh par pure délicatesse, et faute de preuves sérieuses…

Qu’on relâche Fénéon, ou bien qu’on précise son crime. Qu’on nous dise ce qu’il a fait sauter, ce qu’il a tué, ce qu’il a vendu.

En voilà assez de ces potins.