Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/270

Cette page n’a pas encore été corrigée

rien dans la chute de l’Empire. L’Empire ne tomba point sous les coups de M. Henri Rochefort : il tomba sous le poids des fatalités sociales qu’il avait entassées ; il tomba parce qu’il était arrivé à la date historique de son écroulement.

Ces choses-là n’ont qu’un jour, n’ont qu’une heure, l’heure à laquelle elles naissent ; quand elles n’ont point pour les faire vivre le soutien d’une philosophie, ou la flamme d’une pensée artiste, elles meurent vite. Elles ont été le résumé des curiosités, la forme d’esprit d’une époque : c’est déjà beaucoup. Mais les époques se valent. Hier ne ressemble plus à aujourd’hui, et demain dévore déjà aujourd’hui. Rien ne demeure de ces constructions frêles ; rien ne germe de ces semences trop légères.

La chronique — son nom l’indique — n’est que la fleur d’un jour, et le lendemain, elle est fanée. Et c’est grand-pitié de penser que tant d’hommes de talent, qui auraient pu peut-être doter la littérature de beaux et nobles ouvrages, ne laisseront derrière eux que des chroniques, c’est-à-dire une fumée qui se dissipe, un parfum qui s’évapore, un bruit qui rentre aussitôt dans le grand silence des choses mortes. Rêvons.

Octave Mirbeau, Le Journal, 11 mars 1894