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abus de l’autorité et les droits de la liberté humaine, se transformer tout à coup, sous l’empire de la peur, en police qui traque, en tribunal qui condamne, en bourreau qui exécute. Le spectacle journalier de cette déchéance eût pu inspirer l’énergique parole d’un homme de courage comme est M. Brunetière. Mais l’Académie, prudente en ses mépris, ne l’eût peut-être pas tolérée.

Ce n’est pas à moi de lancer cet anathème. Si je n’ai rien de tel à me reprocher, je puis m’adresser d’autres reproches. Et ma voix est trop faible pour être entendue. Du reste, on n’entend plus rien, aujourd’hui. L’heure est mauvaise à la raison et à la pitié. L’idée est impuissante à percer les clameurs de la mort. Rêvons.

Quand on a quelques années de journalisme, et qu’il vous arrive, ainsi qu’aux héros de romans, de revivre sa vie, en des minutes de tristesse et de découragement, l’on est vraiment effrayé du mal que l’on a pu faire, et du peu de bien que l’on n’a pas fait. Cet examen ne va pas sans cuisant remords. Il devrait vous induire en de grandes modesties. Ces opinions disparates et hâtives, écloses la veille, reniées le lendemain, toutes ces pages frivoles, jetées, on ne sait pourquoi, au vent qui emporte tout, ces injustices conscientes ou inconscientes, qui ont pu avoir leur répercussion de douleur, dans le cœur d’inconnus ou de mal connus, ah ! comme on voudrait effacer tout cela de sa vie.