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de M. de Montesquiou ; pâles hortensias, bleus, si peu, d’une décoloration charmante, d’une harmonie jolie, et de grâce si souple, si tendre, qu’on eût dit de la soie, prise au manteau même de Tanit, et délicieusement fanée. Des ors, de-ci de-là, des ors éteints de vieilles harpes, jouaient délicatement, parmi cette lunarité florale, et sur le dessus de marbre rose, de mourantes feuilles de bronze s’incrustaient, envolées on ne sait de quel japonais automne.

Aujourd’hui je revois cette commode, orfévrée comme un intime coffret, plus frissonnante qu’un éventail, gaie ainsi qu’un kakémono, et je songe combien elle était faite pour renfermer, en ses tiroirs silencieux, le manuscrit des Chauves-Souris, ces poèmes étranges que, pour la joie de ses amis, M. Robert de Montesquiou vient de colliger en un volume exceptionnel et fastueux.

Les Chauves-Souris, figurez-vous un livre de plus de six cents pages, revêtu de soie bleue, d’un bleu clair de lune, sur un étang, où des chauves-souris, spécialement brochées, volètent entre les caprices des étoiles et des croissants lunaires. Les gardes en sont en soie jaune, d’un inexprimable jaune et répètent le vol du crépusculaire animal :

Abeille de la brune, au falot découpage.

À chaque feuillet du livre, une chauve-souris se filigrane dans le papier, dont le grain est doux aux doigts qui le retournent, comme de