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concevoir et de sentir est un danger, et presque une infériorité ; il mène droit à la sécheresse ; il réprime les élans de la nature. Chez les êtres d’élite, il les augmente, et les dramatise, parce qu’il les dirige. Voyez comment, depuis Diogène le Chien, sous l’influence de l’intelligence pure sans cesse aux écoutes de la vie, se développe l’esprit de M. Paul Hervieu. D’abord agressif et presque féroce, son pessimisme s’atténue peu à peu, tourne à l’ironie, puis à la tendresse, puis à la pitié, une pitié charmante et pour ainsi dire perverse, qui ne perd rien des constatations douloureuses, des laideurs morales, et qui les exalte, au contraire parce que, au milieu de toutes les passions traversées, parmi les déséquilibres cérébraux, et les vanités étranges où, dans certains milieux, se meut la vie sentimentale, il a rencontré la fatalité éternelle de la douleur, qui ennoblit même ce qui est corrompu, même ce qui est dégradé. Flirt est, à ce point de vue, un chef-d’œuvre. Dans aucun livre, peut-être, ne fut aussi cruellement évoquée l’absence de sens moral des sociétés élégantes et jouisseuses, pour qui tous les devoirs sociaux se bornent à des échanges de politesse, et toutes les vertus, à des rites futiles d’étiquette. Il y avait, dans ce livre, pour qui sait lire, des pages terribles, où la forme élégante, où le style raffiné et joli rendaient plus visibles la saleté de ces cœurs, le cynisme de ces âmes. Eh bien, il se levait de là une grande et belle pitié,