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ou en joie, encore faut-il que ce soit dans un rayonnement du drapeau tricolore. Soyons vulgaires, abjects ; remuons les sales passions et les ordures bêtes, mais restons patriotes. On peut voler, assassiner, calomnier, trahir, être une brute forcenée, un lâche brigand, cela n’est rien, si l’on organise du « boucan » dans les théâtres, si l’on insulte les femmes qui viennent d’Allemagne, si l’on vomit sur le génie des belles œuvres, si l’on va, en hurlant de stupides refrains, porter de revendicatrices couronnes au tombeau du peintre médiocre que fut Henri Regnault. Car Henri Regnault est devenu un des nombreux symboles de la Patrie ; son culte est obligatoire et national, comme l’impôt et comme le service militaire. On ne peut plus dire qu’il manquait de génie, sans recevoir aussitôt des menaces de mort ; on ne peut même plus émettre un doute sur la valeur artistique de son tombeau, sans voir, soudain, mille poings se tendre, furieux, vers vous, et mille regards vous foudroyer d’homicides colères. C’est exaspérant, vraiment. Qu’on honore son souvenir, c’est bien. Il mourut bravement, mais il ne fut pas le seul, hélas… Combien, en cette douloureuse année, sont morts qui le valaient ? Combien, en qui les balles stupides ont éteint des belles flammes de génie ignoré ? Et ce souvenir qui lui survit, et qui survit à son œuvre oubliée, pourquoi le prostituer dans de douteuses équipées ?

Dans la presse, dans la rue, au Parlement, au