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existence aussi noble que celle de M. de Goncourt. Le cas de M. de Goncourt, comme vous dites, c’est le cas d’un homme qui a beaucoup aimé son art, qui en a durement, douloureusement souffert, qui, à travers les injustices, les insultes, et les découragements qu’elles entraînent, a toujours lutté, sans une défaillance. Cette vieillesse solitaire et abandonnée un peu, cette vieillesse, après tant d’orages, tant de déceptions supportées, tant d’amertumes hautement endurées, cette vieillesse toute vibrante encore des ardeurs d’une jeunesse passionnée de Beau, est une des choses qui me sont les plus émouvantes. et je l’ai admirée, cette vieillesse, avec des tressautements au cœur, quand, au Théâtre Libre, affrontant crânement le flot d’ordures dont elle allait être couverte, elle signait de son aristocratique honorabilité ce que, dans La Fille Élisa, il y a de révolte sociale et de pitié humaine

En vérité, mon cher Bonnières, vous avez un courage qui me passe et je ne vous l’envie pas. Après avoir reproché à M. de Goncourt la mort de son frère, après l’avoir raillé de la détresse morale où le jeta cette mort de la moitié de son âme, de la moitié de son cerveau, de la moitié de sa vie, vous lui faites aussi le curieux et loyal reproche que le succès lui soit arrivé plus tardivement qu’à ses amis. À cela il y a une raison dont vous ne comprendriez sans doute pas l’héroïsme, c’est que M. de Goncourt ait