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buées d’or, des buées rouges, des buées chaudes, sous prétexte qu’il faut faire cuire l’imagination dans les cornues de M. Claude Bernard et les éprouvettes de M. Berthelot. Nous ne voulons plus que la littérature et la poésie - ces mystères du cerveau de l’homme – soient de la physique et de la chimie, que l’amour soit traduit en formules algébriques, qu’on fasse de la passion humaine un problème de trigonométrie, et qu’il faille rechercher, dans les tables de logarithmes, la raison homicide de nos enthousiasmes et le pourquoi désenchanteur de nos rêves. Depuis que M. Zola, un romantique dévoyé, et M. Alphonse Daudet, un naturaliste pour l’exportation, et toute la séquelle d’écrivains hurleurs qui grimacent à leur suite, ont tenté de mettre sur la vie leurs lourdes pattes barbouillées de renseignements, nous ne voulons plus de la vie telle qu’ils nous l’expriment, déformée, hideuse, vide et raidie dans l’ordure. Nous appelons le rêve, le rêve aux ailes d’or, qui nous emporte, en nous laissant des ressources d’humanité, dans les paysages chimériques, dans le bleu du ciel, et réchauffe aux beaux soleils d’apothéose nos membres glacés et nos âmes endolories. Shakespeare, dont ils se réclament toujours, dont ils prétendent qu’ils descendent en ligne directe, n’a-t-il pas fait surgir devant l’esprit charmé, les éblouissantes visions des grâces mélancoliques, avec Le Songe d’une nuit d’été et Comme il vous plaira ? Et Watteau, ce grand poète qu’ils admirent, n’a-t-