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vertus ; mais au point de vue général on aimerait peut-être que M. Déroulède eût moins d’honnêteté et plus de silence. Non, là, franchement, faut-il le lui dire ?… Il nous exaspère un peu.

Car enfin, il est inadmissible qu’un homme seul — si pures soient ses intentions, si respectable sa folie — puisse créer périodiquement des embarras, des dangers à son pays, faire baisser la rente ; inquiéter le travail, mettre sur les dents toute la diplomatie de l’Europe, ramener l’angoisse d’un passé maudit, et, sous prétexte que la musique ne lui plaît pas, se jeter tyranniquement en travers de nos plaisirs artistes et de nos besoins intellectuels. Les grands sentiments — il paraît que ce sont de grands sentiments — ont beaucoup perdu de leur prestige ancien, et même de leur signification morale. Le cornélianisme n’est plus à la mode. C’est à peins si on le tolère encore au théâtre, où il ne fait pas d’argent, d’ailleurs, et où il nous ennuie prodigieusement, tant il nous apparaît faux, ridicule, barbare et caduc. Ce n’est pas pour lui accorder dans la vie, et dans la vie nationale, une prépondérance dont l’anachronisme est choquant, et seulement à sa place au musée de Cluny. L’enquête moderne nous a démontré, lumineusement, que ce qu’on qualifiait jadis de sublime n’était en réalité que l’explosion d’instincts grossiers et le résultat de sauvages habitudes. Les héros, dépouillés par la critique philosophique de la poésie que le recul des siècles entretenait autour de leurs loin-