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Et pourtant il est arrivé que ce courage de poète convaincu est devenu une bonne spéculation de commerçant habile, car Enguerrande, dès son apparition, obtient un grand succès dont je me réjouis fort.

Ce succès, il ne convient pas de le rechercher seulement dans les qualités du poète ; il tient surtout à l’opportunité de l’œuvre, quoiqu’il semble paradoxal de prétendre qu’en cette société affamée de flonflons sentimentaux et d’ordures étalées, un poème dramatique puisse jamais paraître opportun. Et pourtant cela est ainsi.

Nous sommes las, rassasiés, écœurés jusqu’à la nausée du renseignement, du document, de l’exactitude des romans naturalistes, autant que des farces bêtes et du fantastique idiot des opérettes. Après avoir acclamé, comme l’évolution définitive, cette forme nouvelle de littérature qui n’était en somme, qu’une littérature d’attitudes et de gestes, une littérature pour myopes, une littérature à la Meissonier, qui ne voyait dans un être humain que les boutons et les plis de sa redingote, comptait les feuilles d’un arbre et les luisants de chaque feuille, nous demandons à grands cris autre chose. Nous en avons assez de pénétrer dans les âmes des concierges, de sonder le cœur et les reins des cuisinières, de rouler dans tous les sentines, sous prétexte que c’est expérimental, de ne respirer que des odeurs de latrines, sous prétexte que c’est scientifique, et de ne voir partout que des buées, des