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— Puisque nous étions des amis. Puisque je vous le dis. Ah !

Je lui montrai les preuves. Elles étaient foudroyantes. Alors la physionomie du paysan se décomposa, et tout pâle, tout grimaçant, il bégaya :

— Ce n’était pas lui… Ce n’était pas le grand, l’illustre Caro… celui dont on parlait à Paris… Ah ! non de non … et moi, un jour, qui lui avais f… une carpe… Faut-il être bête !

Si je fus honteux de cette erreur, vous devez le penser. Durant quelques jours, je menai une existence inquiète, redoutant les railleries probables, et les rectifications malicieuses dont mon amour-propre eût beaucoup souffert. Cependant il n’arriva rien de fâcheux. À part quelques confrères très savants, qui glissèrent dans leurs articles une allusion discrète et courtoise à cette involontaire méprise, tout le monde accepta fort bien ce nouveau dogme de la transsubstantiation de M. Caro. Et je me consolai en songeant, non sans fierté, que j’avais mis les biographes futurs de l’auteur de L’Idée de Dieu dans un voie inexploitée et féconde en réflexions morales, en interprétations psychologiques, d’un inappréciable intérêt.

Ces prévisions viennent de se réaliser au-delà de les espoirs. Certes, je n’attendais pas qu’un si prompt et surtout qu’un si haut témoignage