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phrases, le songe ailé des âmes invisibles et donner aux mots ce murmure et ce frisson des choses que seuls entendent, que seuls sentent les précoces élus de la mort ?

Et si la Belgique, au contraire, était la terre unique où ceux-là d’entre nous, abreuvés d’amertumes, écœurés d’injustices, lassés des luttes stériles et sans espoir, ont eu cette joie si délicieuse et si grave de se sentir enfin compris, de se sentir enfin aimés ? C’est que je me souviens de Villiers, lorsqu’il revint de son dernier voyage en Belgique. Il était tout transfiguré. Lui, connu chez lui de quelques amis et de quelques artistes seulement, il s’étonnait, avec cette outrance naïve qui le rendait si touchant, d’avoir rencontré, là-bas, tant de gens familiers avec son œuvre. Il fallait entendre raconter les incidents de cette promenade triomphale, les honneurs amicaux qui lui avaient été rendus, les marques de déférence qui s’attachaient, partout, à sa pauvre personne, jusqu’alors et si durement sevré des caresses de la gloire, des douceurs mêmes de la louange. Cela lui avait redonné confiance. Il faisait des projets, des projets qu’il expliquait avec de grands gestes d’enfant. Et ce souvenir qui fut, dans sa vie toute pleine de rêves avortés, comme une courte halte de bonheur, l’accompagna jusqu’à la mort.

Ces souvenirs du passé, et ces souvenirs d’hier, me gênent pour dire tout le mal que pensent de la Belgique certains jeunes, affamés de réclame, et qui s’imaginent qu’on les