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les âmes. Il faut le lire et, quand on l’a lu, le relire encore. Je crois qu, pour ma part, je le relirai toujours. Jamais, dans aucun ouvrage tragique, le tragique n’atteignit cette hauteur vertigineuse de l’épouvante et de la pitié. Depuis la première scène jusqu’à la dernière, c’est un crescendo d’horreur qui ne se ralentit pas une seconde et se renouvelle sans cesse. Et, le livre fermé, cela vous hante, vous laisse effaré et pantelant, et charmé aussi par la grâce infinie, par la suavité triste et jolie qui circule à travers cet effroi. Pour arriver à cette impression d’effroi total, M. Maurice Maeterlinck n’emploie aucun des moyens en usage dans le théâtre. Ses personnages ne débitent aucune tirade. Ils ne sont compliqués en rien, ni dans le crime, ni dans le vice, ni dans l’amour. Ce sont, tous, de petites âmes embryonnaires qui vagissent de petites plaintes et poussent de petits cris. Et il se trouve que les petites plaintes et les petits cris de ces petites âmes sont ce que je connais de plus terrible, de plus profond et de plus délicieux, au-delà de la vie et au-delà du rêve. C’est en cela que je crois La Princesse Maleine supérieure à n’importe lequel des immortels ouvrages de Shakespeare. Plus tragique que Macbeth, plus extraordinaire de pensée que Hamlet, elle est d’une simplicité, d’une familiarité — si je puis dire — par où M. Maurice Maeterlinck se montre un artiste consommé, sous l’admirable instinctif qu’il est : et la poésie qui encadre chacune de ces scènes d’horreur en est tout à fait originale