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de sensibilité intense, profonde, nouvelle :

Ô ces regards pauvres et las !

Et les vôtres et les miens,

Et ceux qui ne sont plus, et ceux qui vont venir,

Et ceux qui n’arriveront jamais et qui existent cependant.

Il y en a qui semblent visiter des pauvres, un dimanche, Il y en a comme des malades sans maison.

Il y en a comme des agneaux dans une prairie couverte de linges ;

Et ces regards insolites,

Il y en a sous la voûte desquels on assiste à l’exécution d’une vierge, dans une salle close ;

Et ceux qui font penser à des tristesses ignorées ;

À des paysans aux fenêtres de l’usine ;

À un jardinier devenu tisserand ; À un après-midi d’été dans un musée de cires…

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Ayez pitié de ceux qui sortent, à petits pas, comme des convalescents, dans la moisson ;

Ayez pitié de ceux qui ont l’air d’enfants égarés à l’heure du repas ;

Ayez pitié des regards du blessé vers le chirurgien,

Pareils à des tentes sous l’orage ;

Ayez pitié des regards de la vierge tentée

Et de la vierge qui succombe…

Et ces yeux où s’éloignent à pleines voiles des navires illuminés dans la tempête,

Et le pittoresque de tous ces regards qui souffrent de n’être pas ailleurs,

Et ceux que nul ne comprendra jamais,

Et ces pauvres regards presque muets,

Et ces pauvres regards qui chuchotent,

Et ces pauvres regards étouffés.

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Oh ! avoir vu tous ces regards !

Avoir admis tous ces regards

Et avoir épuisé les miens à leur rencontre

Et, désormais, ne plus pouvoir fermer les yeux.