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satires de Mathurin Régnier. La Chanson des gueux nous donna un art nouveau, des rythmes nouveaux, une poésie magnifique et canaille où l’âme de Lamartine transparaissait sur des lèvres crispées de voyou. Il fit Les Caresses, ces vers d’une forme presque parfaite ; La Glu, si vibrante, si étonnante par les remuements de ses mots. Il y avait donc là de réelles promesses de gloire car, parmi les jeunes gens, aucun n’était mieux armé de bonheur et de talent que M. Richepin, et l’on aurait pu croire que, l’âge venant, les petites vanités, les petits ridicules dont il enveloppait sa personne, cette sorte de cynisme retentissant et poseur qu’il donnait à ses allures disparaîtraient tout à fait… C’est alors qu’il connut Mme Sarah Bernhardt et qu’il fut, par elle, affiché à la face de Paris, comme son poète aimé. Ces deux cabotinismes s’exaspérèrent l’un par l’autre, et ils en vinrent aux plus sombres folies. Il fallait que cela fût bien avéré que Mme Sarah Bernhardt avait mis sa griffe sur ce cerveau, et fait un jouet de cette pensée qu’on disait ardente et mâle. Richepin, barbouillé de fard, couvert de paillons, s’étala sur la scène. Le poète sombrait dans le comédien. Lui, le chanteur des grands ciels, qui dorent les guenilles des mendiants et réjouissent le dos maigre des gueux, lui, le chanteur des mers vastes qui hâlent le visage et bercent la pauvreté des matelots, il n’eut pour horizon que des toiles de fond aux cieux déteints, aux mers qui écaillent, et il ne vit plus que les