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bien : « Je travaille à quelque chose qui sera, je pense, le plus grand effort de chimie mentale. » Et vous aurez d’aimables dédains, d’affectueux mépris pour les pauvres diables qui écrivent comme ils peuvent, du mieux qu’ils peuvent, avec des plumes qui sont des plumes, des encriers qui sont des encriers.

Et vous aurez soin de couper l’entretien par des exclamations opportunes qui varieront du : « Ah ! si doux », aux « Ah ! si histologique » . Ensuite, vous réduirez au seul héros de votre dernier livre toute l’humanité, toute la nature, toute la vie, tout le rêve — car vous vivisectez le rêve aussi —, vous ferez pivoter le monde sur leur axe unique. Vous aurez ainsi préparé la besogne des critiques, qui seront charmés d’avoir, sur vous-même, des opinions pareilles aux vôtres et qui s’en tiendront là toute leur vie.

Enfin, seul, devant votre table de travail et votre papier blanc, vous vous demanderez : « Que veulent les femmes ? Quels sont les sentiments, les vices qu’elles aiment ? Quelle dose de philosophie, d’amertume et d’obscénité peuvent-elles supporter ? Quelles injures les chatouillent le mieux et leur arracheront le « Ah ! le monstre » par quoi elles se donnent davantage ?

Et vous affabulerez un nouvel adultère.

Octave Mirbeau, Le Figaro, 11 mai 1889