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courage, il lui refusa toute espèce de talent. Une fois lancé dans cette voie, il dédaigna même de se ménager la plus petite hésitation, la plus mince réserve, par où se raccrocher plus tard, au cas où Rodin n’eût pas été aussi dénué de talent que le disait M. Roger Ballu. Non, il expliqua que « ça n’existait pas » . Auguste Rodin s’éleva, grandit. Son nom perça le voile d’obscurité que les gâcheurs de plâtre académique et les critiques soumis s’efforçaient à rendre plus épais, plus intraversable. Malgré eux, et peu à peu, l’attention se fixa sur ce génie puissant qui apportait des formes neuves de beauté, qui, le premier peut-être, gonflait de vie cérébrale la matière, et forçait le marbre, frémissant et douloureux, à pousser des cris de passion inattendue. On pouvait le combattre encore ; il n’était plus permis de l’ignorer. On le décora… Alors M. Roger Ballu, oubliant son rapport, s’agita démesurément, enthousiaste et organisateur. Il présida des banquets, prononça des toasts éloquents, parla d’indépendance, de tradition rompue, de vision moderne, d’avenir. De bonne foi, il crut qu’il venait de découvrir Rodin. Rodin lui appartenait ; il lui appartenait à lui seul. Et comme M. Roger Ballu est bon prince, autant que généreux inspecteur, il consentit à le donner au monde. Si ce doux et grand artiste avait été d’humeur à cela, M. Roger Ballu l’eût promené par les rues, par les villes, en disant : « Regardez. C’est Auguste Rodin… Et je suis M. Roger Ballu…