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ridiculisé, précisément à cause de ce même talent, de ce même caractère, dont on le loue, maintenant qu’il n’est plus là pour écouter ces louanges. Quand il vivait, on ne lui reconnaissait que de l’excentricité, l’amour de la parade somptuaire, des opinions exorbitantes, des pantalons inouïs, une littérature dévoyée, et de fabuleuses cravates. De cet enfermement d’un haut et dédaigneux esprit dans la tour d’ivoire des croyances et des rêves impollués, on disait que c’était aigreur boudeuse, originalité de mauvais goût. Que ne disait-on pas ? Et voilà, en quatre mots, jugé par la sottise et l’ignorance, un homme de ce fier génie, de cette solide trempe morale, de cet admirable renoncement, un homme de qui nous vint l’exemple le plus complet, le plus sans défaillances, d’une existence d’artiste, résignée jusqu’à l’acceptation calme de l’obscurité et de la misère. Aujourd’hui, par un phénomène de retournement que la mort seule peut expliquer, c’est à qui trouvera les plus oratoires enthousiasmes pour l’enterrer. Tout le monde veut l’avoir connu, admiré, aimé ; tout le monde veut avoir recueilli de sa propre bouche — de sa bouche d’airain — les meilleures anecdotes, les plus brillants mots. Car n’est-ce pas avec des mots presque toujours dénaturés, avec des anecdotes généralement pauvres, que se forgent les renommées contemporaines ? Et chacun, dans cette funèbre curée d’un cadavre illustre et décrié, déchiquète son suaire, s’en