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qu’il toilette, qu’il pomponne et berce pendant une minute et qu’il brise ensuite de ses doigts en demandant un autre joujou. Ce n’est même pas le jouet de l’année ou du jour qu’il faut à sa capricieuse humeur, c’est le jouet de la minute présente, de la seconde qui déjà fuit, ce jouet qui passe, se démode aussi vite que ses impressions, ses amitiés, ses haines, mousse de sa cervelle qui, pareille à la mousse du vin de champagne, s’enfle et pétille un instant puis se volatilise…

Au fond, Paris n’est qu’une fille qui vit, aime, s’amuse et se pare comme toutes les filles avec un peu de fard aux joues, du fard qui souvent est du sang ; avec des bijoux volés, des sourires menteurs, des serments qui trompent, et fait succéder, avec la même impudeur, sous les courtines de son lit public, les amants d’hier aux amants d’aujourd’hui. Pourtant, dans ses goûts changeants, Paris a gardé une sorte de fidélité à l’un de ses plus singuliers bijoux, à Mme Sarah Bernhardt. Il la quitte parfois, mais c’est pour mieux la ressaisir ; s’il la brise un jour, c’est pour raccommoder le lendemain ses membres disloqués, et la mieux fêter que jamais. Paris a pour Sarah Bernhardt l’amour obsédant et maladif que certaines femmes éprouvent pour « l’ami de cœur » . Tous deux ont la même âme, les mêmes fugitifs caprices, le même vertige du bruit, le même détraquement cérébral. Ils se fondent l’un dans l’autre et ne font plus qu’un. On peut