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pensent, et, Dieu me pardonne, les philosophes aussi. Seuls les hommes politiques et les militaires ont échappé à cette universelle lèpre. Mais qu’est-ce que cela ? Shakespeare envahit notre théâtre, et devant lui, recule et se glace le rire de l’opérette ; Dostoiewsky et Tolstoï recouvrent d’un linceul cosaque les rimes de Béranger, ô patrie… les œuvres complètes de M. About, ô Voltaire… Encore un an de Théâtre Libre, et la France ne sera plus la France, et les Français ne seront plus Français. Est-ce donc possible ?

Tout est possible.

Nous avons eu — nous l’avons encore — une pièce gaie, Les Surprises du divorce, une pièce où l’on plaisante, je crois, les belles-mères, et qui, de ce fait inouï, faillit nous ramener aux vraies traditions nationales. Darwin, Claude Bernard, Spencer furent pendant quelques jours, oubliés, et M. Taine n’en mena pas large. La France respira :elle avait vu renaître le rire, son rire à elle, son cher rire qu’elle croyait mort. Alors les critiques enthousiasmés prédirent des choses historiques et miraculeuses, telles que l’union des partis, la reconquête de l’Alsace, la pulvérisation de l’Allemagne, l’émiettement instantané de la triple alliance. Phénomène surprenant et qui restera inexpliqué, ces prophéties ne se réalisèrent point. En même temps, Mme Victorine Demay, qui pouvait tout pour le relèvement de la patrie, vint à mourir, son œuvre inachevée. Ce