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teusement défini le philosophe allemand : « Les autres pays ont des singes : l’Europe a des Français, cela se compense. »

Hélas, non, cela ne se compense plus.

Il faut bien l’avouer, quoi qu’il en coûte à notre amour-propre de Français de l’Europe, nous avons perdu le génie de la race. Depuis Paul de Kock et Désaugiers, ces derniers Gaulois, nous nous dénationalisons complètement. Sous l’influence d’on ne sait quelles perverses littératures, d’on ne sait quelles philosophies désolantes, nous ne décrochons plus les enseignes, nous laissons les chats miauler librement dans les clairs de lune schopenhauerisés ; et les sonnettes elles-mêmes n’ont plus de pied de biche. Les chroniqueurs illustres qui, tous, furent, sont et seront de grands sociologues, étant tous de grands décrocheurs d’enseignes, vous diront que c’est là un fait social inquiétant, et que les peuples ne sont plus, à proprement parler, des peuples, qui cessent de s’adonner à ces exercices généraux, lesquels élèvent les cœurs et fortifient les cerveaux.

Ayons le courage de le dire, le mal est profond ; peut-être même est-il incurable, car la science nous mine et l’intellectualité nous emprisonne. Nous pensons. Cela est horrible à constater, mais nous pensons. Oui, nous en sommes venus là. Tous, ou presque tous, nous sommes dévorés par cette cérébrale et démoralisante vermine : la pensée. Les poètes pensent, les romanciers pensent, les peintres, les sculpteurs