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Il lui consacra une admirable étude plus complète de détails, plus harmonieuse de jugements, plus probante encore et plus expressive que celle de Baudelaire, et donna de quelques-uns de ses plus ignorés contes une traduction excellente qui fit la joie des lettrés. Sa mort est non seulement un épouvantable malheur pour sa famille, un cruel deuil pour ses amis ; elle est aussi une irréparable perte pour le monde intellectuel, car elle emporte, avec Émile Hennequin, l’œuvre merveilleuse que nous attendions de lui, l’œuvre à faire qui n’est pas faite et qu’il eût faite sûrement. Je sais qu’il est hardi et facile de poser de telles affirmations qui, malheureusement, restent sans réponse et presque sans témoignages écrits. Bien des gens seront tentés d’en sourire. J’en appelle à tous ceux qui l’ont approché, j’en appelle à M. Taine qui, du premier coup d’œil, avait deviné l’avenir en ce jeune homme, était allé spontanément vers lui, à M. Taine qui l’estimait à l’égal des grands esprits les plus fortement trempés de cette époque.

Pauvre cher Hennequin, avec quelle douloureuse et en même temps douce tristesse, je me rappelle nos causeries, vos causeries plutôt, car vous seul causiez et je vous écoutais. En vous écoutant, j’admirais l’énorme somme de vos connaissances, l’infinie diversité de vos observations, l’abondance, l’éclat, la hardiesse, de vos idées, et ce prodigieux labeur que vous aviez imposé à votre frêle et délicate jeunesse. Il me semblait, en ces moments, que mon intelligence