dont le savoir fût aussi vaste et dont l’esprit, hanté des plus hautes spéculations de l’entendement humain, fût aussi lumineux et puissant. Dompteur d’idées, historien impassible des arcanes de la vie, il était de la race intellectuelle des Spencer, des Bain, des Taine, supérieur en cela que chez lui, le savant n’avait point étouffé l’artiste ni le poète, au contraire. Je crois bien qu’il était — chose rare — arrivé à l’art par la science, car il n’y avait rien, dans le domaine de la pensée, de l’imagination, de l’activité cérébrale, dont il n’eût raisonné les origines, recherché les causes, pesé les analogies. Il était charmant, d’une physionomie curieusement affinée, suprêmement élégante, et comme voilée de mystère, avec des yeux profonds et doux, ivres et froids, perçants et candides, des yeux de voyant, caractéristiques de son particulier génie et de ses nobles qualités effectives. M. Stéphane Mallarmé m’a dit qu’il ressemblait beaucoup, par l’expression du visage et par l’habitude du corps, à Edgar Poë ; non point l’Edgar Poë tel que nous le restituent les gravures mensongères, mais tel que M. Mallarmé l’a connu : un homme d’une beauté étrange et d’une infinie séduction. Émile Hennequin, d’ailleurs, par la conformité de sa nature intellectuelle avec celle du célèbre écrivain américain, était irrésistiblement attiré vers ce grand poète métaphysique — le plus grand peut-être parmi les plus grands.
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