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très haute, très personnelle, et qui la défendent avec beaucoup de talent, beaucoup d’élévation et beaucoup d’inutilité, hélas !

À propos de la Puissance des ténèbres, la critique a été unanime dans le dénigrement. Elle était d’ailleurs solidement appuyée et absolument couverte par les jugements préalables de M. Alexandre Dumas fils, de M. Émile Augier, de Victorien Sardou, qui n’aiment pas qu’on vienne déranger leurs petites combinaisons théâtriculesques, et à qui le traducteur de Léon Tolstoï avait eu la malencontreuse et très comique naïveté de demander leur avis. L’avis a été ce qu’il devait être.

C’est peut-être très beau, ont-ils répondu, du haut de leurs trois cents représentations, mais c’est impossible en France.

Ce qui, depuis Voltaire, lequel avait deviné Scribe et préparé Edmond Gondinet, s’est répété cent mille fois, afin d’étouffer Shakespeare, afin d’étouffer tout ce qui inquiète et déroute les visées médiocres et les énormes vanités de nos illustres auteurs dramatiques. En France, qu’il vienne de Russie ou de Montmartre, dès qu’un homme de génie apparaît, c’est comme dans les bois hantés par les loups. À chaque pas on aperçoit des écriteaux avertisseurs, avec ces mots : « Prenez garde au génie ». Et je vous prie de croire que chacun prend garde au génie,