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Hugo est confondu avec M. Déroulède, Baudelaire avec M. Rollinat, Musset avec M. Richepin. Son aberration est telle que qu’elle soufflette les grands avec les petits, Molière avec M. Buguet, Delacroix avec M. Cormon, Gounod avec M. Varney.

C’est la camaraderie qui, par le rapprochement incessant et le coudoiement journalier, nous a enlevé peu à peu nos enthousiasmes littéraires, nos convictions politiques et par conséquent nos fièvres de combats. C’est elle qui éteint les haines, les haines fécondes, au soleil desquelles fleurissent les grandes choses et poussent les œuvres immortelles. La beauté vient de l’amour, et de la haine, cet amour douloureux et blessé, c’est l’idéal et c’est la tendresse qui fait le poète, l’artiste, le patriote. L’indifférence, ce credo de la camaraderie, est impuissante et stérile. Elle ne produit que des œuvres petites, qui meurent aussitôt qu’elles sont nées, et pour lesquelles demain ne se souviendra pas d’aujourd’hui.

Voilà ce qu’est le journalisme aujourd’hui, ce qu’il doit être sous le régime de la liberté de la presse. Nous ne manquons pourtant ni de talents sérieux, ni de vrais courages, ni d’inattaquables honnêtetés. J’en vois dans tous les journaux et dans tous les partis, autant qu’il y en avait autrefois, plus peut-être. Mais tout cela disparaît, se perd et se noie, au milieu de l’im-