Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/96

Cette page a été validée par deux contributeurs.

M. Léon Daudet n’écrit point pour s’amuser et nous amuser à de petites histoires romanesques, de petits adultères sans importance, de pauvres petites immoralités pour rire. Il n’écrit pas davantage pour uniquement sertir dans l’or des phrases creuses les joyaux du verbe éblouissant et nu. Il écrit parce qu’il y a en lui une force supérieure qui le pousse à écrire des choses essentielles, à crier ses pensées, à donner la vie et l’expression aux idées qui tourmentent son cerveau et y bouillonnent. C’est vraiment de lui qu’on peut dire qu’il est « un intellectuel » au pur sens de ce mot, si galvaudé, aujourd’hui. Non pas un intellectuel à la façon de ces psychologues, raisonneurs et classificateurs, systématiques et glacés qui, sous la morne vitrine de l’analyse, étiquettent et cataloguent leurs sensations, comme l’entomologiste ses insectes morts, le botaniste ses herbes desséchées. Esprit plein de sèves tumultueuses et d’activités grondantes, il est toujours en marche, toujours en galop vers les hauteurs. Rien ne l’arrête, et tout excite sa fièvre. Les obstacles et les gouffres, loin de les contourner avec des prudences minutieuses, il les franchit d’un robuste élan, au risque de se rompre les os. Les idées et les images — reflets des idées — se pressent, s’accumulent, flambent, chauffent