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ami. Il m’en parla chaleureusement, bien des fois. Aucune personnalité littéraire ne le troublait, ne le passionnait davantage, et il montrait, dans l’avenir de ce précoce et déjà puissant talent, une confiance pleine de sécurité et qui m’était chère, puisque je la partageais avec lui.

Je connais peu de vocations d’écrivain qui se soient manifestées aussi impérieusement, aussi impétueusement, pourrais-je dire, que celle de M. Léon Daudet. Elle eut cette chance de n’avoir été contrariée ni dirigée par une famille qui comprît que l’on ne recommence pas une œuvre, si glorieuse soit-elle, et qu’il importe que l’œuvre appartienne à qui la crée. M. Léon Daudet fut donc libre d’aller, dans le sens de sa nature, à la conquête de sa propre originalité. Il se façonna soi-même, sans autres maîtres que ses lectures. Même quand il crut devoir orienter son esprit vers la science et qu’il suivait les cours, à la Faculté de médecine, on le laissa faire, et pas un de ceux qui vivaient près de lui ne douta un seul instant, que cette incursion scientifique n’aboutît à la littérature. Car ce n’était, au fond, chez lui, qu’un besoin littéraire, une soif ardente de connaître, et la juvénile assurance qu’il allait, par la science, entrer dans le monde merveilleux de la vie. Cette impression ne se vérifia point, du moins dans le sens où il en avait prévu les résultats. En ce milieu que restreignent aux limites d’une pri-