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étonne, et qui m’étonne moi-même, quand j’y réfléchis. — Aussi bien, il faut que cette histoire s’écrive… Et je l’écrirai, quand j’en aurai fini avec Napoléon… En attendant, nous parlons entre nous, n’est-ce pas ?

— Je vous le jure.

— Eh bien ! avez-vous remarqué que j’ai une tête de médaille ?… Du moins, grâce à de savantes coupes de cheveux et de barbe, je me suis efforcé à l’avoir, et, sincèrement, je crois que j’y ai réussi ! Y ai-je réussi ?

— C’est frappant, admirai-je.

— N’est-ce pas ?… Pour entrer à l’Académie, quand on n’a pas de talent, quand on n’a aucune sorte de talent — ce qui est mon cas — il faut avoir une tête de quelque chose, une tête de n’importe quoi… Moi, j’ai opté pour la tête de médaille… La tête de médaille a je ne sais quoi de sévère, de grave…

— De gravé, vous voulez dire ?

— De grave et de gravé, ne chicanons pas, je vous prie… Enfin, elle a je ne sais quoi de déjà historique… Elle sied à la jeunesse par un genre de noblesse spéciale ; elle vous donne tout de suite un air de célébrité préexistante, pourrais-je dire… Aussi, tenez, lorsque j’étais quelque part, au théâtre, à l’Académie, où déjà je n’avais garde de manquer une séance publique, j’entendais les gens se demander : « Quel est donc ce jeune homme qui a une si belle tête de médaille ? » Et les gens de répondre :