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lancolie se shakespearianise et se russifie la tristesse des grandes âmes.

— Mon ironie, hélas !… Je n’y songeais pas… Je n’aime pas à y songer… Je suis un ironiste, c’est vrai !… mais cet état d’esprit qui ne m’est pas naturel et spontané comme le sublime, me fatigue extrêmement… Je ne puis manœuvrer mon ironie ainsi que je le voudrais !… Elle est fort lourde, monsieur… elle pèse cent vingt mille kilos… Pour la soulever un peu, au-dessus de la terre, mes bras ne suffisent point… Il me faut des crics, des treuils, des chèvres, de puissants leviers. Et toujours, elle retombe sans avoir pu prendre son vol, et elle écrase quoi ?… Des mouches !… Cent vingt mille kilos d’ironie pour écraser une mouche ou pour ne rien écraser du tout, vous conviendrez que c’est se donner beaucoup de mal vainement… Non, j’aime mieux être sublime tout le temps… Je suis à l’aise dans le sublime… C’est mon élément naturel, et si j’ose dire, ma véritable atmosphère… J’y brille d’un rare et merveilleux éclat… J’y brille, et même j’y chateaubrille !…

Je profitai de ce délicat jeu de mots pour vaincre, par la flatterie, les dernières résistances de M. Melchior de Voguë.

— Chateaubriand !… clamai-je… Ah ! nous y voilà donc arrivés ! Et par quel ingénieux détour !… Il vous doit beaucoup ?…

— Il me doit tout… Si je ne l’avais pas, rien que par mon style, remis en honneur, qui donc y